Nabuyoshi Araki : Libertarisme et obsessions.
Nabuyoshi Araki : Libertarisme et obsessions.
Nobuyoshi Araki, né à Tokyo en 1940, est sans doute l’un des photographes japonais les plus controversés et qui fait le plus écho au-delà des frontières de l’archipel. Araki a étudié la photographie et le cinéma à l'Université Chiba, où il a développé un intérêt tout particulier pour le cinéma Néoréaliste italien ou la Nouvelle Vague française avec des réalisateurs Cari Theodor Dreyer et Robert Bresson. Cette influence transpire ostensiblement dans ses œuvres comme des journaux intimes érotiquement chargés, qui mettent aussi en scène l'urbanisation et la mercantilisation post WWII du Japon, saupoudrées de références à la culture japonaise contemporaine. Son travail documente volontiers la vie quotidienne, ses éléments, allant des fleurs (dans lesquelles il voit parfois des représentations sexuelles, cf « Feast of Angels: Sex Scenes ») et nuages (cf « Sky Scenes »), aux karaokés ou aux jouets, ou aux paysages urbains de Tokyo et aux gens ordinaires. Il a commencé sa carrière en tant que photographe publicitaire et a vite été récompensé par le prix Taiyo (1964) – premier d’une longue liste - pour une série de photographies intitulée « Satchin », suivie de plus d'une centaine de publications à la fois en noir et blanc et en couleur. Chez Araki, il y a une forme de connexion étroite entre le moment extatique de la photographie et la mort ou la futilité. « Senchimentaru na tabi » (Voyage Sentimental), publié en deux parties en privé en 1971, est un compte rendu intime de son voyage de noces avec sa femme, Yoko, et un premier exemple de son approche intensément intime et personnelle de la photographie. C’est ce qu’il appelle l’«I-photography», une allusion au style réaliste et confessionnel de la littérature populaire au Japon au début du XXe siècle. En 1991, il poursuit cette série avec « Fuyu no tabi » (Voyage d’hiver), un essai photographique documentant la mort de sa femme bien-aimée et son tourment intense, largement critiquée comme intrusive et déplacée, ce dont il n’avait que faire. La série se conclue avec « Voyage de printemps » en 2010 mettant en scène Chiro, le chat qu’il avait offert à sa femme.
Bien sûr, Araki est surtout connu pour ses nus graphiques et érotisés, en violation des lois japonaises contre la représentation des poils pubiens et l’obscénité, ce qui lui a valu des descentes de police, ces fermetures d’expositions, des confiscations et même des arrestations. Beaucoup de ces nus controversés représentent des femmes étroitement liées avec des cordes dans le style de bondage japonais connu sous le nom de Kinbaku, pratique héritière d’une tradition millénaire d’utilisation de la corde, qui s’exprime aussi bien dans le pragmatisme de la vie quotidienne (emballage et transport des denrées alimentaires) que dans les tenues vestimentaires avec les kimonos, la symbolique de la vie spirituelle avec le shimenawa (corde sacrée servant à délimiter l’aire de pureté d’un sanctuaire shinto) ou l’impitoyable vie guerrière où les cordes étaient utilisées pour la torture des prisonniers. Le Kinbaku se distinguerait du plus connu Shibari par sa visée purement esthétique et érotique - n’étant pas une pratique sexuelle en soit - par une recherche artistique dans la volupté, la jouissance par une contention vigoureuse et la douleur. La frontière est subtile... Ce qui est certain, c’est qu’Araki représente les femmes car pour lui, la photographie est intrinsèquement liée à l'amour et à l'érotisme. « Un photographe qui ne photographie pas des femmes n'est pas un photographe, ou seulement un photographe de second rang. Rencontrer une femme n'importe où vous en apprend plus sur le monde que de lire Balzac. Je pense que toutes les attractions de la vie sont éminentes chez la femme. Il y a là beaucoup d'éléments essentiels: beauté, dégoût, obscénité, pureté ... bien plus que l'on en trouve dans la nature. Chez la femme, il y a le ciel et la mer. Chez la femme, il y a la fleur et le bourgeon ... ». « La photographie impose une relation avec le sujet », précise-t-il. Il a cependant inclus des hommes dans ses photos érotiques, ça et là, dont des Yakuzas, tatoués de la tête aux pieds. L’on peut citer dans cette veine des travaux comme : Shooting Back, Suicide in Tokyo, l’excellent Marvelous Tales of Black Ink (où il utilise la calligraphie sur photo) ou le très coloré (peinture apposée sur photo, leur donnant une force expressive bouleversante) Kaori Love, parmi tant d’autres.
Sa relation vitale et essentielle à la photographie se révèle dans son extraordinaire productivité et les sujets qu’il traite, aussi futiles que provocants. Dans la série Past tense – Future, il documente les sujets les plus variés, allant même jusqu’à immortaliser des Yakusas. Dans Tokyo Story, il s’attarde magistralement des moments de vie. Cette vision, très souvent controversée, a cependant contribué à assouplir les restrictions imposées aux photographes et il fait figure de célébrité au Japon, grâce à sa prolifique contribution à la photographie, ses centaines de livres, ses essais cinématographiques, ses photographies de stars internationales comme Lady Gaga et Bjork, ses travaux pédagogiques. Il a été exposé dans le monde entier, notamment au Tate Modern, au Musée d'art moderne de San Francisco, au Musée d'art contemporain Hara de Tokyo et à la Fondation Cartier à Paris.
L'infatigable Araki, souffre depuis quelques années d'une baisse drastique de la vue à l’œil droit, il est pratiquement aveugle; une déficience dont il s’est tout de suite joué avec une série intitulée « Love on the left eye », composée d'impressions dont la moitié droite est complètement obscurcie avec un marqueur noir. Conscient du temps qui passe inexorablement il a réalisé une exposition rétrospective, incluant aussi de nouveaux travaux, sous le titre « Ojo Shashu-Photography for the Afterlife: Alluring Hell » au FOAM d’Amsterdam.
Un artiste à part, dont le travail marquera à jamais l’histoire.