sacai : Mode engagée et sans concessions, par Chitose Abe.
sacai : Mode engagée et sans concessions, par Chitose Abe.
L’énigmatique designer féministe Chitose Abe, ayant fait ses preuves chez Comme des Garçons auprès de Rei Kawakubo avant de se lancer seule, à Tokyo en 1999, défila pour la première fois à Paris en 2001. Depuis bientôt vingt ans, elle prend son temps et aime une forme de stabilité, par opposition à la fast-fashion. Et elle compte notamment Birkenstock et Nike parmi ses récentes collaborations. Le concepteur des étiquettes les plus en vogue du prêt-à-porter se définit comme « à contre-courant ». Elle croise régulièrement plusieurs vêtements pour leur donner la silhouette haute couture. Déconstruire et reconstruire éternellement (comme le veut le mouvement déconstructiviste lancé par Comme des Garçons et Yohji Yamamoto), appliquer des textiles à des vêtements sur lesquels ils ne devraient pas figurer, épouser des pulls et des vestes ou des chemises et des sweats à capuche, des confections qui peuvent sembler déséquilibrées ou maladroites, tout en étant élégantes. Cette élégance qui décoiffe est ce qui décrit le mieux sacai. C’est une designer qui incarne la « multi dimensionnalité de la femme », mais aussi de l’homme, dans son studio d’Aoyama, où elle trouve un équilibre subtil entre art et commerce. Fan de Vivienne Westwood, elle a toujours fait figure d’ovni dès sa plus tendre enfance, dans la petite ville ou elle a grandi. Chaussures à plateforme vissées au pied, coupes déjantées, sa mère se refusait même un temps de marcher à ses côtés. Elle dit avoir beaucoup appris auprès de Rei Kawakubo, pendant leur collaboration. Une admiration mutuelle s’est développée. Elle a vite pris conscience, lors de son expérience auprès de la créatrice de Comme de Garçons, qu’elle ne travaillait pas pour une marque parmi tant autres. C’est aussi là qu’elle a rencontré son mari, dans les années 90, Junichi Abe, qui n’est autre que le fondateur de la maison Kolor, une autre perle du Japon. Rei a vite laissé beaucoup de place à la créativité débordante (comme avec quelques autres grands de ce monde, comme Junya Watanabe, dont Chitose a rapidement intégré l’équipe au sein de l’équipe CDG, pour développer la ligne Junya Watanabe), consciente des perspectives nouvelles et du talent que Chitose pouvait apporter… Rei a toujours su avoir du flair pour les talents hors du commun. Mais la mode a des vues intrinsèquement commerciales et Chitose dit avoir appris à trouver un équilibre entre commercial et créativité auprès de Rei. C’est la leçon la plus importante qu’elle en a tiré et qui l’habite encore aujourd’hui, dit-elle. Elle gère son affaire d’une main de maître, contrôlant tout, du business à la création.
En résumé et comme elle le dit si bien : « Essentiellement, je crée des vêtements que j’aimerais porter. Je n'achète pas de tissu, je fais produire des tissus exclusivement pour moi ».
Elle prône une mode exclusive et sans concessions, dont on tombe amoureux avec conviction. Les gens du métier ne s’y trompent pas. Elle compte parmi ses fans de premier rang Karl Lagerfeld , Anna Wintour and Suzy Menkes. De l’aveu de Sarah Andelman, cofondatrice de la boutique Colette, qui avait déjà repéré sa patte quelques années avant son premier défilé parisien de 2010: « Dès ma première visite en show-room, j'ai vu qu'il y avait un énorme potentiel car ce que proposait sacai était vraiment nouveau : ce twist de classiques, une chemise avec un dos de tee-shirt, une veste avec un détail de chemise, ces croisements de pièces de vestiaire et ces mix de matières, le tout parfaitement abouti, pensé de façon à ce que ça reste portable. D'ailleurs, ce fut fascinant, parce que très rare, de voir comment ses vêtements se vendaient sans qu'il n'y ait, les premiers temps, aucune communication, presse ou publicité, autour de la marque : ils fonctionnaient d'eux-mêmes. ».
Saison Automne/Hiver 2018 - Paris